Dans ses vœux « au monde de l’écologie » le 16 janvier 2019, le Ministre de la transition écologique et solidaire, François de Rugy, a centré son discours sur l’« écologie du citoyen » en mettant l’accent sur la nécessité d’un effort justement partagé entre les citoyens, et de récompense pour ceux qui acceptent de changer leurs habitudes[1].
Ces lignes directrices se retrouvent dans la loi de finances pour 2019 (ci après « la Loi »)[2].
La Loi est également marquée par la volonté de « rendre l’impôt plus simple, plus juste et plus lisible pour le contribuable » notamment en supprimant ou fusionnant les taxes à faible rendement[3], dont certaines concernent des enjeux environnementaux.
Ont été ainsi supprimées la redevance pour obstacle sur les cours d’eau (crée pour favoriser l’aménagement ou la suppression des obstacles sur les cours d’eau afin d’améliorer l’écosystème fluvial[4]) ; la taxe sur l’exploration des gîtes géothermique à haute température[5] ; la contribution additionnelle à l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), applicable aux stations radioélectriques[6]. La taxe hydraulique affectée à l’établissement publique Voies Navigables de France est remplacée par des redevances sur les prises et rejets d’eau[7].
Il convient de noter qu’est créée une redevance applicable aux concessions hydroélectriques arrivée à terme, non encore renouvelées mais qui continuent d’être exploitées dans l’attente de ce renouvellement[8]. Cette création permet de remédier à une carence puisqu’une telle redevance existait déjà pour les concessions hydroélectriques renouvelées[9].
En dehors de ces dispositions liées à une volonté de toilettage de l’arsenal fiscal de la France, deux axes se dégagent de la Loi de finances 2019 en matière d’environnement : faciliter la transition écologique de tous (I) et améliorer les incitations économiques à une modification des comportements (II).
I. Une transition écologique facilitée par une fiscalité favorable
Afin de faciliter la transition écologique des citoyens et des acteurs économiques, la loi de finances pour 2019 prévoit des mécanismes venant renforcer les aides financières à la transition des ménages ou des entreprises vers des comportements plus respectueux de l’environnement (A), tout en prévoyant des mécanismes de protection des acteurs les plus sensibles, économiquement, aux changements imposés par une telle transition (B).
A. L’aide à la transition écologique
Pour les entreprises, la Loi crée ou proroge la possibilité de suramortissements fiscaux de certains investissements. Ainsi, les armateurs réalisant des investissements dans des navires ayant un impact réduit sur la qualité de l’air peuvent bénéficier d’un suramortissement fiscal[10]. Les investissements concernés sont notamment les navires utilisant l’hydrogène ou toute autre propulsion décarbonnée comme énergie principale, mais également ceux propulsés grâce au gaz naturel liquéfié. Sont aussi concernés les investissements qui améliorent les navires existants, ceux destinés au traitement des gaz d’échappement afin qu’ils émettent moins de gaz nocifs pour la santé humaine, ainsi que ceux destinés à l’alimentation électrique durant l’escale par le réseau terrestre ou au moyen de moteurs auxiliaires utilisant le gaz naturel liquéfié ou une énergie décarbonnée.
Le dispositif de suramortissement fiscal est prorogé pour les sociétés qui font l’acquisition de véhicules poids lourds propulsés grâce au gaz naturel, au biométhane, au carburant ED95[11], à l’énergie électrique ou encore à l’hydrogène et étendu à de nouveaux véhicules et concerne de nouvelles énergies[12].
Les équipements de réfrigération et de traitement de l’air utilisant des fluides réfrigérants autres que les hydrofluorocarbures (HFC) peuvent également bénéficier d’un suramortissement fiscal[13].
Pour les ménages, le Crédit d’Impôt pour la Transition Énergétique (CITE) est prorogé jusqu’au 31 décembre 2019. Il est étendu à de nouveaux investissements tels que l’acquisition d’une chaudière à très haute performance énergétique n’utilisant pas de fioul, le remplacement de fenêtres en simple vitrage par des matériaux d’isolation thermique des parois vitrées, la pose de certains appareils, tels que de fourniture d’eau chaude sanitaire et de chauffage, qui utilisent une source d’énergie renouvelable, les dépenses de dépose d’une cuve à fioul[14].
L’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) est prorogé jusqu’au 31 décembre 2021, afin de financer les travaux visant à réaliser des économies d’énergie. La condition liée au bouquet de travaux est supprimée[15] et celle liée à l’ancienneté du logement est modifiée. Les travaux d’isolation des planchers bas deviennent exigibles à ce mode de financement[16].
Le Fonds de prévention, ou Fonds Barnier, pourra désormais financer plus amplement les études et travaux visant à la réduction de la vulnérabilité aux inondations des immeubles à usage d’habitation ou professionnels. Désormais, les exploitants et les utilisateurs des lieux concernés pourront faire appel au fonds pour les travaux qu’ils réalisent. La capacité contributrice du Fonds est également doublée, passant de 40 à 80 % des dépenses éligibles lorsqu’il s’agit d’un bien à usage d’habitation ou à usage mixte[17].
B. La protection des acteurs économiquement fragilisés
La contribution climat énergie devait suivre une trajectoire pluriannuelle d’augmentations.
Le nouveau carburant B 10, qui comprend dans sa composition 10 % de biocarburants, ouvrira droit aux mêmes remboursements partiels de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques que le gazole standard. Sont principalement concernés les exploitants de taxis, les transporteurs routiers de marchandises et les exploitants de transports en commun routier[18].
Un tarif réduit pour la taxe intérieur de consommation d’électricité s’applique depuis le 1er janvier 2019 aux centres de stockage de données numériques, ou data-centers, activité particulièrement énergivore pour laquelle les risques de délocalisation sont importants[19].
Un tarif réduit, différent, est également prévu pour les exploitants d’aérodromes ouverts à la circulation aérienne publique, en raison là encore de la forte concurrence internationale et du caractère électro-intensif de cette activité.
Un tarif réduit est créé au bénéfice des sociétés utilisant le gaz naturel pour déshydrater les légumes et plantes aromatiques autres que les pommes de terre, les champignons et les truffes.
La programmation pluriannuelle de l’énergie prévoit l’arrêt des quatre centrales à charbon encore en activité d’ici à 2022 et de 14 réacteurs de centrales nucléaires d’ici à 2035. La centrale de Fessenheim devrait arrêter de produire de l’énergie au premier semestre 2020. Dans ce cadre, les collectivités territoriales concernées cesseront de percevoir l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER), la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la contribution économique territoriale correspondant à ces activités. Afin de permettre un meilleur accompagnement de la transition du tissu économique local, la loi de finances pour 2019 prévoit un fonds de compensation au bénéfice des collectivités territoriales qui bénéficiaient auparavant de l’IFER correspondant à ces activités. Ce fonds sera alimenté lui-même par un prélèvement sur les recettes fiscales de l’IFER. Il est donc institué un mécanisme de solidarité entre les collectivités territoriales continuant de bénéficier de l’IFER et celles qui n’en bénéficieront plus en raison de la transition écologique. Si la compensation est prévue pour les dix ans suivant la fin de l’activité, elle ne sera intégrale que lors des trois premières années.
II. Une fiscalité comme levier de changement des comportements
Pour orienter les choix des acteurs économiques et des ménages en faveur de la transition écologique, la fiscalité est un outil important pour influer sur le signal prix. Dans ce cadre elle peut être utilisée pour désavantager économiquement les comportements préjudiciables à l’environnement (A) ou favoriser les comportements plus vertueux (B)
A. Une fiscalité défavorable aux comportements préjudiciables à l’environnement
Afin de dissuader le recours au hydrofluorocarbones la loi crée une taxe sur ces gaz. Elle s’appliquera à partir du 1er janvier 2021 et sera due par la personne réalisant la première livraison en France de ces substances. Le tarif augmentera progressivement jusqu’en 2025. Cette modification de la fiscalité s’inscrit dans le contexte de l’institution d’un système de quotas par le Règlement (UE) n° 517/2014 dit F-Gaz.
Malgré les différentes mesures des plans éco-phyto mises en place depuis plusieurs années, l’utilisation de produits phytopharmaceutique en France ne diminue pas. Pour y remédier un plan d’action a été dévoilé en janvier 2018 par le Gouvernement[20] qui comprend la modification de l’assiette et des taux de la redevance pour pollutions diffuses, qui s’est concrétisée dans la loi de finances pour 2019[21]. Il s’agit d’augmenter la différence entre les taux applicables en fonction du niveau de dangerosité des substances cancérogènes, mutagènes pour les cellules germinales[22] ou reprotoxiques (CMR), ou répondant à certains critères en matière de toxicité. Les substances dont la substitution est envisagée sont également concernées.
Les installations de cogénérations, qui permettent la production combinée de chaleur et d’électricité ou de chaleur et d’énergie mécanique voient les produits qu’elles utilisent pour leur production taxés au même tarif que les produits destinés à être utilisés comme combustibles[23]. Il est précisé que le gaz naturel, ou les carburants auxquels il est équivalent, ne se voit pas appliquer le même tarif lorsqu’ils sont utilisés dans de telles installations.
La taxation des véhicules de société est étendue aux véhicules de type pick-up, à l’exception de ceux affectés exclusivement à l’exploitation des remontées mécaniques et des domaines skiables[24].
Le mécanisme de bonus/malus qui s’applique à l’achat d’automobiles par les personnes morales et les personnes physiques voit son barème modifié par la loi de finances pour 2019. Si le seuil minimum de pollution conduisant à l’application d’un malus est abaissé, le montant appliqué à la plupart des véhicules est également abaissé et le taux d’émission de dioxyde de carbone auquel est appliqué le montant maximum est augmenté[25].
B. Une fiscalité favorable aux comportements vertueux
La loi de finances pour 2019 utilise la fiscalité comme levier pour encourager l’adoption de comportements plus durables principalement en matière de déchets, d’énergies et de mobilité.
Afin de ne pas pénaliser les entreprises qui prennent en charge les déchets dont la valorisation matière est interdite ou dont l’élimination est prescrite, la loi de finances pour 2019 crée des exemptions à la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pour ces déchets[26]. Il convient également de noter, concernant la TGAP, la modification de certains tarifs réduits et l’augmentation des tarifs dans un contexte de rendement en berne pour l’année 2018[27].
La fiscalité sur les déchets est également modifiée par l’application d’un taux de TVA à 5,5% aux prestations de collecte séparée, de tri et de valorisation matière des déchets ménagers à partir de 2021[28]. De plus, les collectivités sont incitées à mettre en oeuvre une part incitative à la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Ainsi, la loi de finances pour 2019 prévoit des frais de gestions réduits et la possibilité la première année de percevoir un excédent de 10% par rapport à l’année précédente[29].
Afin d’encourager le développement des énergies renouvelables, l’énergie solaire bénéficie du régime de TVA à taux réduit de 5,5%[30] et les collectivités territoriales ont la possibilité d’exonérer de la taxe foncière les parties d’une installation hydroélectrique destinées à la préservation de la biodiversité et à la continuité écologique[31].
Pour favoriser la mobilité durable, la loi de procède à une refonte du régime fiscale des biocarburants afin d’en augmenter la lisibilité en facilitant notamment son mode de calcul[32]. Des limitations sont prévues en vue de prévenir le risque d’un développement des biocarburants qui se révèlerait néfaste pour l’environnement. Ainsi, par exemple, les produits à base d’huile de palme seront exclus des biocarburants à partir du 1er janvier 2020.
Afin de favoriser le recours à la mobilité durable pour les trajets domicile-travail, les employeurs peuvent délivrer à leurs salariés une « indemnité forfaitaire de covoiturage » même lorsqu’ils sont simplement passagers lors du covoiturage. La réduction d’impôt dont peuvent bénéficier les entreprises qui achètent une flotte de vélos pour la mettre à disposition de ses salariés est prolongée jusqu’au 31 décembre 2021, et élargie à la location d’une telle flotte.
[1] Discours du Ministre de la transition écologique et solidaire, François de Rugy, à l’occasion de ses vœux au monde de l’écologie, 16 janvier 2019.
[2] Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, JORF n°0302 du 30 décembre 2018.
[3] Exposé général des motifs du projet de loi de finances pour 2019, consultable ici.
[4] Article 195 de la loi de finances pour 2019.
[5] Article 26 de la loi de finances pour 2019.
[6] Article 26 de la loi de finances pour 2019.
[7] Article 26 de la loi de finances pour 2019. Ces dispositions sont applicables à compter du 21 décembre 2019.
[8] Cette continuité est prévue selon une lecture extensive du 3e alinéa de l’article L.521-16 du Code de l’énergie.
[9] Selon l’article L.523-2 du Code de l’énergie.
[10] Article 56 de la loi de finances pour 2019.
[11] Carburant qui doit être composé d’un minimum de 90% d’alcool éthylique d’origine agricole.
[12] Article 70 de la loi de finances pour 2019.
[13] Article 25 de la loi de finances pour 2019.
[14] Article 182 de la loi de finances pour 2019.
[15] Cependant, les offres émises avant le 1er juillet 2019 doivent encore porter sur une combinaison de plusieurs actions listées.
[16] Article 184 de la loi de finances pour 2019.
[17] Article 238 de la loi de finances pour 2019.
[18] Article 66 de la loi de finances pour 2019.
[19] Article 69 de la loi de finances pour 2019.
[20] Lancement de la concertation sur les propositions de plan d’actions sur les produits phytopharmaceutiques et une agriculture moins dépendante aux pesticides, communiqué de presse du 18 janvier 2018, consultable ici.
[21] Article 234 de la loi de finances pour 2019.
[22] Il s’agit des cellules qui produisent les spermatozoïdes et les ovules.
[23] Article 65 de la loi de finances pour 2019.
[24] Article 92 de la loi de finances pour 2019.
[25] Articles 91 de la loi de finances pour 2019.
[26] Article 24 de la loi de finances pour 2019 complété par l’arrêté du 31 décembre 2018 pris pour l’application des articles 266 sexies et 266 nonies du code des douanes.
[27] Loi de finances rectificative pour 2018 n°2018-1104 du 10 décembre 2018.
[28] Article 190 de la loi de finances pour 2019.
[29] Article 23 de la loi de finances pour 2019.
[30] Article 18 de la loi de finances pour 2019.
[31] Article 172 de la loi de finances pour 2019.
[32] Article 192 de la loi de finances pour 2019.